mains peignant sur le corps d'une femme 

Etreinte de l’âme

Par Io Illy, Iroise Orient et Céline Pivoine
Premier tableau : peinture sur toile vivante

Io Illy est une artiste peintre et modèle installée en Bretagne dont les œuvres et la personnalité m’ont touchées. J’ai accepté de poser pour elle en tant que toile vivante et je vous livre ici les clichés tirés de cette séance très particulière, sous l’œil du photographe Iroise Orient.

Iroise Orient nous a offert à chacune un livre d’art des photos de la rencontre, soigneusement choisies et traitées. Parce que c’est elle qui en parle le mieux, je cite Io Illy :

« Comme au milieu d’une rivière… assise sur un cailloux, entre immobilisme et mouvement, envahie d’une émotion qui coule comme l’eau qui glisse, passe et continue son chemin, mon corps tout entier ne m’appartient plus puisque je me suis envolée dans un autre univers… Ainsi je suis à la contemplation de ce livre photo… 

Mon esprit s’est emparé de ma chair et tous deux m’ont fait valser, m’envoler, frissonner, m’ont fait me perdre dans les méandres de la sensualité profonde qui jaillit de ce livre, dans une jouissance qui ruisselle, de cette eau que j’imagine autour de moi et qui m’éclabousse suivant ces humeurs ! à chaque page que je tourne…
L’Eau, incarnée sous mes yeux par la sensualité qui se dégage de ton corps, puis dans celle qui ressort de nos deux corps qui se chuchotent dans un mélange entre retenu et désir, dans un plaisir certain, le tout dans cet œil invisible qui a capté en émotion, ces émotions qui lui ont été offertes, pour un moment qui a coulé, qui nous a caressé dans le courant du temps qui passe, le tout enveloppé d’une naissance graphique et colorée, qui n’est rien d’autre que ma jouissance de ta féminité, enroulée et si bien portée par ton corps et ton esprit…

Dans l’instant où je m’émerveille de cet album, qui permet de dépasser les frontières du seul souvenir, qui fait entrer dans la danse et dans son entièreté cette troisième sensibilité, la tienne Iroise, je vis un jaillissement de cette source limpide dans une disparition momentanée d’un orgasme d’une clarté, comme l’eau, bue à la « source de la tendresse »…. »

L’Oeuvre-corps

Deux femmes nues. L’une peint. L’autre est toile. Sa peau livrée au pinceau, au trait, à la couleur, à la composition. A ce regard qui l’invente, la recrée. L’une à l’autre pareillement offerte. Ravissement de cet abandon réciproque, de ce nu partagé. Les visages sont graves, pensifs, toujours attentifs l’un à l’autre. Parfois, un sourire esquisse la complicité du plaisir, d’autre fois c’est une méditation silencieuse qui les emporte dans un vague où, à n’en pas douter, les deux femmes se rejoignent. Le sein est mobile sous le pinceau. Plans très rapprochés. Corps matière. Résistance de chair. Luminescence de la peau. Millimètre par millimètre, gagnée par la couleur. Les profondeurs de l’être révélées dans ce travail sur la surface et les volumes. Dépliées, exposées. Comme mille murmures, mille langues, comme si cette fois il était possible d’éviter la confusion de Babel, qu’au contraire approchait avec lenteur le temps de la révélation et de l’exactitude, pour ce corps et pour tous les autres corps. Cette soif d’échange, d’altérité. Tous les sens sont convoqués pour cette composition à deux. On retient son souffle. Proche d’une extase. Oui, la volupté méticuleuse de la rencontre entre l’artiste et son modèle a quelque chose d’une action de grâce. Elle est faite de tant d’égards, de tant de précautions, de tant d’instants que l’on devine suspendus à leur propre émerveillement. Scènes remplies d’émotion, de douceur, de discernement, d’attention comme seules les femmes entre elles peuvent parfois en connaître. La femme-œuvre, d’abord hésitante, entre de biais dans son rôle. On sent en elle une discrétion que l’artiste sublime avec la plus grande délicatesse. Elle laisse la peinture la délier peu à peu. Elle y rejoint, fluide soudain, sa propre beauté, les mille amplitudes de sa présence au monde. Elle apprend à se voir à travers le regard de la femme nue qui peint sur ses parties les plus secrètes. Elle apprend à se détacher de l’intime pour faire ce voyage dans le regard de l’autre. A s’abandonner tout en se révélant. Elle, à la fois l’œuvre et la cimaise. L’artiste la contemple, elle se retourne avec un regard de pudeur et de joie, c’est la surprise, l’inattendu. Ses volumes épanouissent les couleurs et les traits et ces couleurs, et ces traits, on ne les a jamais vus : ils sont siens. Ils lui appartiennent. Indéfectiblement. C’est sa singularité à elle qui leur confère leur caractère d’unicité.

La femme-œuvre s’est livrée et se livrant s’est comme libérée d’elle-même. Ce ne sont plus ses seins à elle, son cul à elle, son sexe à elle, mais les éléments charnels d’un élan spirituel à laquelle elle consent à présent pleinement et qu’elle offre au regard, à la photographie, à l’évidence de son paraître. Ils forment l’alphabet d’une langue nouvelle. Sous les gestes précis et délicats de l’artiste, voici la femme nue devenue paysage, le trait fin de sa toison entrant dans la composition à l’égal des traces laissées par le pinceau. Blanc, rouge, noir, bleu… Le ventre se transforme en un émouvant Kandinsky qui aurait la légèreté d’une estampe chinoise et la respiration du vivant.

Magie de la réciprocité. Laquelle peint, laquelle est peinte : peu importe. Les deux femmes nues fusionnent dans cette danse lente. Les visages se tournent l’un vers l’autre, gravement, comme dans les prémices de l’amour. La femme-œuvre, athlétique, ornée, splendide. La femme-peintre la contemple, respire son corps de danseuse sacrée, l’effleure. Captivante elle aussi de toute cette sculpturale sensualité qui l’habite et qui déborde d’elle comme une source. Frôlement de la chair. Enlacements. La bouche souffle sur la poitrine majestueuse des pigments comme autant de baisers dispersifs et féconds. Nuée de bienveillance, d’attention rare. Et puis la femme peinte se met à peindre la femme peintre. Chiasme. Renversement des rôles. L’une devient l’autre. Indistinction des corps. Dans cette gémellité soudaine se dévoile la féminité en son état le plus sobre, le plus délié, le plus accompli. Les deux femmes restent ainsi comme après une étreinte, épuisées et comblées, jouissant de la proximité enjôleuse de leurs formes conniventes, étrangement synchronisées l’une à l’autre, réglées sur la même pulsation animale, les mêmes puissances de l’esprit. C’est une scène qu’en général on ne voit pas. Une scène presque interdite. Actéon a été dévoré par ses chiens pour moins que ça. Elégance saphique, tendresse désolée du féminin, dérobée au monde, comme déjà nostalgique de la perte, de l’absence, et pourtant ne cédant rien de son propre désir. Stupéfiante résonance d’un corps à l’autre. Toutes les lumières peuvent s’éteindre. Le geste aura été accompli. Et la féminité, comme un enchantement qui s’épandrait de par le monde à travers l’œuvre qu’aura constitué ce pur instant de grâce, délivre sa force d’éphémère, c’est-à-dire d’infini.

Sébastien Costerie
Paris
Décembre 2018.

Deuxième tableau

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