Homme en costume allongé sur un mur dans une zone urbaine

L’intime m’intimide de Quantin Duberne

Ou « Seul, je l’ai toujours été, comme hiver ! », en attendant d’en trouver un autre plus accrocheur du genre « Le plein des sens et des burnes» ou « Vide poche », ou bien plus théâtral « Le chant du signe », ou bien encore cinématographique « Si j’avais su, j’aurais pas venu », mais encore « Tout doit disparaître », « Les tribulations d’un amoureux transit d’effrois », « La chouette effraye, les petits trinquent »… ou évidemment tous à la fois.

Épisode 1

L’intime m’intimide. Comme tout ce qui m’entoure, pas de place pour moi, depuis toujours, pris dans les filets d’une vie qui ne laisse aucune place à l’être que je ne suis pas devenu ; trop sensible, trop émotif, trop contraint par ce qui brûle en moi, ce qui n’aurait jamais dû arriver, des coups de tisonnier qui ravivent et entretiennent les braises toujours et encore malgré le temps qui passe, les liens qui m’oppressent, qui plus je me débats, plus se resserrent, ne laissant la possibilité au mammifère à deux pattes que le triste regard du fauve en cage, qui, dans d’imperceptibles râles, de sourds feulements, se laisse dépérir (dans l’indifférence absolue du monde qui s’indigne sur lui-même) tout en espérant qu’une souris vienne l’en délivrer.

« Je suis tombé par terre, c’est la faute à ma mère, le nez dans le ruisseau, la faute à mon ego. »

« Arbre en peine » – Lisa Portelli, Le régal, 2011.

À suivre : C’est la faute à ma mère…

Épisode 2

La faute à ma mère. Il faut bien que je me résolve à dire ma vérité, celle dont je suis le seul à me souvenir, le temps jadis où cette année-là ma génitrice attendait, de vulve ferme, de pondre un exemplaire humanoïde abricoté selon ses souhaits les plus chers ; de la poule et de l’œuf sortit un bipède à pénis « ridicule » qui fit entrer Héra, qui se prenait pour Zeus, dans une rage folle en un éclair. Le fils n’était pas le bienvenu, Héphaïtos eu un accueil cinglant : « mon Dieu qu’il est moche, » et failli tôt se coucher dans le feu des enfers. Il me semble que toute la suite de mon existence fut déterminée par ces quelques instants de rejet de mon pénis ; allais-je m’en sortir indemne ? La femme, qui devrait m’aimer le plus, qui devrait m’apprendre à aimer, va dresser devant moi des haies d’aubépine que je n’ai pas fini d’enjamber, laissant des lambeaux de « chères » dans mon sillage.

« Prison voyageuse » – Sarah Toussaint-Léveillé, La Mort Est Un Jardin Sauvage, 2016.

À suivre : La faute à mon ego…

Épisode 3

La faute à mon ego. Longtemps, j’ai cru ne pas avoir d’ego. Rapporter toujours à soi le moindre fait, les moindres mots, surtout ceux qui vous dévalorisent à vos propre yeux, spirale infernale, aspiré par le trou noir. Ce sont les mots que ma mère m’envoie à la figure, accompagnés d’une bonne dose de châtiments corporels. Je ne sais pas s’il est en ma capacité, aujourd’hui, d’en établir une liste exhaustive… ceinture, martinet, fessées, gifles, règle… ; et les contraintes… rester dans ma chambre, longs séjours dans le placard au fond du couloir, dans le noir, au pain sec et à l’eau ; quel luxe ! Il a fallu survivre à tout cela, mais pourtant il aurait mieux valu mourir pour éviter les peines futures ; vaines pensées, passé le temps de l’innocence, elles vont tourner en boucle, perturbantes, jusqu’à annihiler la moindre parcelle de volontés, de désirs d’être soi, d’être ce que je suis, une emprise totale sur mon libre arbitre, soumis à la dictature maternelle. Un Dieu n’aurais pas fait mieux. Réagir et fuir seraient de bonne augure, mais notre psychologie est ce qu’elle est ! et la société, l’école, les autres se moquent de l’individu, de l’enfant, de votre existence tant que ce n’est pas la leur et pour leur profit. Moi, je n’ai pas encore réussi à m’aimer.

« Ego trip » – Xavier Lacouture, Pile ou face, 1987.

À suivre : Pourtant, pourtant, pourtant…

Épisode 4

Pourtant, pourtant, pourtant, j’aurais bien aimé aimer, mais je suis amer. Ce doit être une sorte de syndrome de Stockholm, aimer son bourreau, mais surtout en avoir peur ; c’est une peur qui va, au fil du temps, se propager, par toutes les femmes qui me plaisent ou à qui je plais… Le principe de l’évitement ; incapable de dire à quelqu’une ce qui me chamboule quand je la vois ; je prends la fuite lorsque l’une d’entre elles me porte un intérêt non dissimulé – depuis l’adolescence jusqu’à aujourd’hui encore – sur le moment je remarque le manège, j’aimerais qu’elle vienne à moi pour m’emmener, elle me sourit, fait ce qu’elle peut pour me séduire, elle y arrive, mais je me sauve. Oui, je me sauve, comme s’il y allait d’une urgence absolue à rester en vie alors que je n’ai qu’une envie : d’elle, j’ai envie d’elle ! Je fuis comme j’ai envie de fuir la feuille de papier et le stylo au moment où j’écris ces lignes (la transcription se passe mieux). Je dois faire avec les traumatismes de l’enfance, j’arrive quand même à coucher, à accoucher, quelques aspects de mon ressenti, il faut que je me trouve une thérapie pour peut-être, enfin, vivre ce que je suis plutôt que ce que l’on a voulu faire de moi, ou pas. Heureusement que certaines femmes, peu, ont été courageuses et entreprenantes ! Les seules, à qui je me suis proposé, que j’ai abordées après un dur combat intérieur, ont toujours refusées, à une exception, va savoir pourquoi. Il y a urgence…

« Si t’habites avec tes parents » – Jean-Louis Mahjun, Ce n’est que moi, 1984.

À suivre : Il faut trouver un palliatif…

Épisode 5

Il faut trouver un palliatif. Les choses que l’on ne dit jamais. Besoins de douceur, de tendresse, une sensibilité exacerbée… Bien qu’équipé d’un sexe à géométrie variable, très variable même, je n’ai jamais joué les gros durs (même en cuir) ; j’en ai gros sur le cœur, sentimental, full sentimental, brelan de dames et paire d’as* ; j’ai plus besoin de tendresse et d’amour vrai que de sexe pur et torride… le sexe est une finalité, l’amour un début, qui dure ou pas. Par le manque cruel d’amour que ma mère m’a légué de son vivant, je me suis réfugié bien malgré moi une fois endormi dans mes profonds sommeils avec mon pouce comme une tétine maternelle que je gardais toujours avec moi, personne ne pouvait me l’enlever. Jusque tard, en début d’adolescence, douze treize ans (peut-être quatorze), j’ai sucé mon pouce, je me consolais tout seul, dans mon lit, du manque affectif. Et puis du jour au lendemain, c’était terminé. Il faut dire que j’avais découvert un palliatif on ne peut plus délicieux, un truc qui vous colle à la peau, une seconde peau ; le collant nylon, quelle joie cette douceur ! cette chaleur ! couplée à mes premières érections, une double découverte sous mes couvertures et le produit de ce terrain d’aventures se répand, me laisse dans un marécage de désirs, d’illusions, de frustrations, un bourbier dont je ne me sors pas aujourd’hui encore. J’essayerai de m’en sortir sans résultats ou pire… J’explore les bas, les porte-jarretelles, les bodys**, les culottes en dentelle, décalées, et pourtant je ne me sens pas autre qu’homme, je n’ai pas le goût au travestissement, non, juste le plaisir de goûter aux matières auxquelles les hommes n’ont pas droit sans qu’on les traîne dans la boue, juste des vêtements qui ont bien des avantages. Mais c’est une sorte de ligne pointillée, des périodes frénétiques suivent de larges zones de déserts calmes et tranquilles. Chercher le côté féminin qui est en moi. Comme perdu dans le cosmos…

« Coming out » – Alexis HK, L’homme du moment, 2004.

À suivre : Un jour, j’aurais mieux fait de me casser la jambe…

* les 3 Moires et les 2 Ajax.
** bodies, pour les anglophones.

Épisode 6

Rendez-vous Gare Saint-Lazare. La copine d’un copain arrive pour le week-end, accompagnée d’une copine… sur le quai, je passe les salamalecs. Bon, la copine du copain plutôt jolie, mais pas mon genre, je n’ai pas de genre précis, mais pas mon genre. La copine pas mon genre non plus, pas ce que je peux appeler jolie, elle ne me plaît pas, pas mon genre. Bon, c’est la fête quand même, à l’époque mes seules occupations sont mon boulot et les bitures, ou l’inverse, matins, midis, soirs, minuits. Le quatre-heures, j’allais oublier le quatre-heures ! Ça y est tout le monde est arrivé à ce qu’il souhaite, rincé par l’alcool qui coule à flots, les poches vides, pour moi, c’est le retour dans mon petit studio. Une nuit sans réveil, la deudeuche connaît la route, je ne sais pas quel jour il sera quand je reverrai le jour. Pas de réveil, mais le téléphone s’emballe : « viens vite. » C’est le copain. Quelle heure est-il ? Quel jour sommes-nous ? Une injonction, je n’ai pas envie, il me supplie, comme je suis un gars pratique, j’obtempère. La deudeuche connaît la route dans les deux sens. On fait la fête. Là, même « titine » ne peut rien pour moi, je dors sur place. Je n’aurais jamais dû répondre au téléphone. J’aurais mieux fait de me casser la jambe ! La copine de la copine du copain me réveille, me tripote pour obtenir une sorte de bandaison et me baise ! Baisé, je suis baisé, le gars pratique, qui n’est pas un Don Juan, pour une fois qu’il y en a une, ne va pas la jeter. Vingt-deux ans, cela va durer vingt-deux (longues) années, deux enfants et pas vraiment d’amour, au moins de ma part, mais c’était mieux que de continuer à broyer du noir, à vider des bouteilles et cultiver mes dépressions régulières.

« Il faut qu’on s’touche » – Pascal Rinaldi, L’inconsolable besoin de consolation, 2002.

À suivre : Enfin seul, chouette !

Quantin Duberne