Il aura fallu quelques mois et embûches pour arriver à l’émergence du projet initial. Son projet, leur projet, mêle photographie, peinture et sensualité. Pas banal à mon sens, et c’est pour cela que je réponds présente quand il me le propose en juin dernier. Il est photographe, me contacte via focale31 où je suis inscrite depuis janvier, et j’accroche sur les clichés présentés dès le premier e-mail. A ma réponse positive de collaboration possible, il n’hésite pas dès le deuxième échange à me parler d’un projet qu’il mûrit avec “une amie artiste peintre et modèle dans la région de Rennes”. Il n’en faut pas plus pour attiser ma curiosité, j’aime les artistes d’art plastique. Mes réponses sont souvent brèves et précises : “J’aime voyager et la Bretagne m’inspire aussi. Alors oui, je suis partante pour une journée ou un week-end en septembre ou octobre”. Je n’ai encore aucune information sur le projet, l’artiste, le photographe !
Il me présente donc Io Illy à travers son site internet que je parcours rapidement, histoire de me faire une petite idée. Ma première impression est l’image d’une femme assez froide et dure, un peu barrée mais j’accroche, et encore plus sur le projet. Elle habite une grande maison avec de grands espaces, jardin, bosquet, verger, cour et un grand atelier/studio/grenier dans la grange. Il m’informe que le lieu est assez isolé des voisins pour faire du nu en extérieur. Quant au projet, “l’idée sur laquelle nous travaillions est celle d’une session photo au cours de laquelle elle peindrait sur le corps d’une femme, elle-même nue, le photographe également, pour que les trois acteurs soient à l’unisson. Les thèmes seraient donc multiples, au carrefour de l’art, de deux féminités, d’une masculinité, de la nature, de la sensualité”. Le décor est posé !
Ma réponse est encore une phrase on ne peut plus directe : “Oui, cela me semble une belle aventure dans un cadre idyllique”. Ma petite voie intérieure me donne l’impression qu’ils sont intimes, mais je garderai la question pour moi. Et puis, rien par la suite ne me le confirmera dans les gestes, attitudes et paroles. De son côté, il a amorcé le contact avec l’artiste peintre afin qu’elle me découvre également, à travers mes textes et mes photos. Elle est partante et nous convenons d’une rencontre physique entre lui et moi. Compte tenu de nos agendas respectifs, le rendez-vous est pris pour le lendemain ; sinon, cela aurait été reporté à quinze jours, et il me semble que nous sommes tous déjà trop enjoués pour attendre.
Nous décidons de déjeuner, ce qui nous laisse le temps de nous percevoir, à travers les mots, mais surtout les regards, les attitudes, les expressions et l’être. Je me trouve très bavarde, et la lenteur de sa façon de parler m’interpelle par le contraste avec moi. Les échanges sont très cordiaux et agréable pour moi. Visiblement pour lui aussi, et dès son retour, il me fera part de son impression “très” positive : “Dire que je suis séduit serait bien en deçà de la réalité, et ce que les clichés laissent deviner de ton regard trouve toute son intensité à la lumière !”. Il valide la rencontre possible au travers d’un premier e-mail à trois, dans lequel il écrit : “l’âme est dans les yeux”, puis “Je suis maintenant convaincu que, non seulement nous allons y parvenir, mais qu’il aura une intensité au-delà de ce que l’on pouvait escompter”. Cela fait deux ans qu’ils mûrissent ce projet, attendant de trouver la personne pour le faire. Nous fixons donc sans plus attendre une date pour début septembre.
Elle écrit pour la première fois, elle parle de son émotion, de la séance qu’elle imagine entre art et sensualité. Elle aime mes écrits qu’ils l’ont “aspirés, hypnotisés”, elle écrit elle-même très bien, de manière enivrante justement. Ses mots sont puissants, ses phrases sont longues et m’emportent dans un tourbillon troublant. Elle parle d’âme, de sensualité, de jouissance, de désir, de plaisir, de vibration corporelle, de courbes, de féminités, du fait que les deux femmes peuvent devenir amantes, de création inspirée par les voluptés émises par nos sensualités mélangées… “Je rêve donc de déposer mes pinceaux sur votre corps, d’en maîtriser les lignes, le geste… dans cette dualité entre maîtrise et lâcher prise. Qu’au travers de ces caresses, qui ne seront dans un premier temps pas de ma chair mais uniquement de mon âme, puisqu’il y aura entre nous ce pinceau, vous soyez vous aussi actrice de cette création, dans l’expression de votre plaisir, et qu’au fur et à mesure de la montée de ce plaisir, votre corps s’arque, vive vos émotions pleinement, et qu’ainsi, vivant en fusion avec ma création, puisque j’épouserai vos courbes, je m’enivrerai de votre désir, pour transposer en couleur mon propre désir…”.
Toutes ces informations m’inspirent et me rendent méfiante à la fois. Il est question d’art mais aussi de désir, et je sens “plus si affinités”… Je reste à nouveau assez brève dans ma réponse par rapport à elle, informe que je m’en sens capable mais j’ajoute ce bémol que rien ne peut être sûr tant que nous ne nous serons pas rencontrés car notre feeling doit être au rendez-vous pour que je puisse jouir de chaque pore de ma peau et exprimer le désir dans le cadre de la peinture. A ce moment, je ne suis sûre de rien, et je sens un emballement qui pourrait être déçu si les ingrédients n’étaient pas au rendez-vous. Ils me répondent sur la même note, intégrant la part de hasard, bien qu’ils soient tous deux très confiants : elle dans ce qu’il a décelé chez moi, et ce qu’elle perçoit de mes écrits, lui dans ce qu’il connaît de nous deux. Il est notre seul point commun, et tout va dépendre de cela, finalement. La date est fixée !
Dans les échanges qui ont suivi est venu germer l’idée d’un toucher plus créatif : elle suggère que je peigne mes mots sur son corps. Comme je ne suis pas à l’aise avec le dessin, j’émets la possibilité de déposer la peinture déposée du mien sur le sien, sans savoir ce qui serait réalisable. A ce moment-là, j’imagine qu’elle va recouvrir mon corps de peinture, à l’instar des bodypainting que j’ai déjà observés, et que je pourrai donc la toucher avec mon corps enduit dans une sorte de danse sensuelle, puisque tel est le thème majeur. C’est là qu’il avance la proposition que son corps soit également peint, et qu’il se joigne à nous pour une étreinte de nos trois corps sur une toile où nous déposerions les pigments. Autant je n’ai eu aucun blocage à ce que son corps à elle rencontre le mien, sous une forme que j’imagine sensuelle mais non sexuelle, autant avec lui cela n’est pas envisageable pour moi. Je deviens presque froide et distante dans ma réponse. Je les informe que je ne suis pas attirée par les hommes plus âgés que moi, malgré quelques essais, et que notre rencontre ne fait que le confirmer. Je perçois une envie de triolisme derrière le projet qui n’en fait pas partie pour moi.
Ils vont me confirmer que ma réserve ne remet en rien le dessein en cause, que je serai respectée dans ma demande, plaçant le photographe dans un rôle de témoin au regard passionné. Mais, au détour d’un e-mail toujours aussi langoureux, que je me délecte à découvrir chaque fois, elle finit par “Je me permets de venir déposer la pointe de ma langue sur votre sein”. C’en est trop pour moi ! Ils vont trop vite et s’éloignent trop rapidement de mon goût pour la sensualité et la lenteur que j’affectionne le plus. Ma réponse est tranchante une nouvelle fois, avec cette impression grandissante que je dois les mettre à distance : “La pointe de votre langue sur mon sein est arrivée directement en pleine intimité sexuelle. Je l’ai visualisé sur le téton, et cela est bien trop rapide pour moi. Je me demande où elle aurait pu arriver… Comment passer du désir, de la sensualité à une introduction aussi directe et sexuelle ? N’y a-t-il pas mille chemins à parcourir avant d’arriver aux zones les plus érogènes (dans l’imaginaire collectif) ? J’aurais de loin préféré une lenteur, nécessaire à la montée de mon désir, qui laisserait la place à mon imaginaire.”
Elle reçoit ma remarque avec beaucoup de délicatesse, elle présente ses excuses et explique sa démarche qui n’avait rien de sexuelle. Elle souligne que nos échanges sont des étapes nécessaires à notre compréhension l’une de l’autre. Elle remercie ma franchise et me transmet l’archet pour donner le temps et le tempo qui me sont nécessaires pour entrer dans ce rêve, dans cette valse sensuelle. C’est alors que j’en profite pour justement poser mes limites virtuelles et me positionner : “Étant absolument dans le moment présent, et pas du tout dans le virtuel, je propose donc que nous reprenions nos échanges dans la semaine qui précédera notre rencontre. Que ce soit pour régler les questions techniques, que pour faire monter le désir. A une échéance aussi lointaine, je crains en effet que nous perdions la spontanéité que je chéris tant.” Je suis accueillie, nous sommes en phase et nous nous souhaitons respectivement un bel été à chacun. Nos échanges reprendrons donc dans deux mois…